Ordonnance sur requête – Dérogation au principe du contradictoire

Ordonnance sur requête – articles 493 et 145 du CPC – Dérogation au principe du contradictoire – Motif légitime

Cour d’Appel de POITIERS, 2ème Chambre Civile, 12 mars 2019

S’estimant victime de concurrence déloyale, une société avait obtenu du Président du Tribunal de Commerce de LA ROCHELLE une ordonnance sur requête l’autorisant à se faire communiquer le registre du personnel de la société contre laquelle étaient dirigés ses soupçons, ainsi que le contrat d’agent commercial supposé signé avec l’un de ses anciens clients et tous les documents et échanges de courriers relatifs aux pourparlers précontractuels ayant précédé la signature de ce contrat ainsi que tous documents, quel qu’en soit le support, informatique ou autre, de nature à confirmer l’existence ou à révéler la teneur et le volume en chiffre d’affaires des relations contractuelles entre ces sociétés.

Elle avait également obtenu du Juge de se faire communiquer la liste complète des mandats de son concurrent sur les cinq dernières années et l’année en cours, ainsi que l’ensemble de ses fichiers clients.

La société concurrente avait cependant obtenu, en référé, la rétractation de cette ordonnance, et cette ordonnance de référé devait être confirmée par l’arrêt ci-dessus de la Cour d’Appel de POITIERS.

La Cour, pour confirmer l’ordonnance frappée d’appel, raisonne tout d’abord à partir de l’article 493 du CPC et recherche si, au cas d’espèce, la société appelante était fondée à solliciter une décision provisoire sans appeler la partie adverse.

Elle rappelle que le Juge de la rétractation apprécie au jour de la présentation de la requête les circonstances justifiant de ne pas procéder contradictoirement et relève que ni la requête ni l’ordonnance rendue le 4 avril 2018, laquelle se borne à viser la requête et les articles 145 et 493 du CPC, ne caractérisent les circonstances particulières ayant justifié la dérogation au principe de la contradiction.

La Cour s’interroge ensuite, au regard de l’article 145 du CPC, sur le point de savoir s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige susceptible de justifier la désignation d’un technicien pour rechercher et établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un procès éventuel.

La Cour rappelle qu’il suffit que le requérant justifie d’éléments crédibles ses suppositions et que les preuves obtenues soient de nature à alimenter un procès sans avoir à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque la mesure demandée est justement destinée à les établir.

Elle rappelle, conformément à la jurisprudence la plus récente de la Cour de Cassation, que le Juge de la rétractation apprécie le motif légitime au jour où il statue, à la lumière des éléments de preuve produits au soutien de la requête, mais également de ceux produits ultérieurement devant lui, à l’exception de ceux obtenus dans le cadre de la mesure sollicitée lorsqu’elle a été réalisée.

Ce rappel étant fait, la Cour indique que le Juge des référés a relevé, à juste titre, que les pièces produites aux débats par la société appelante étaient majoritairement liées à sa procédure collective, à sa situation économique et à ses relations avec le client qu’elle a perdu, mais ne produisait pas de pièce nouvelle en cause d’appel.

Elle indique qu’ainsi, en l’état des justificatifs produits, les faits tels que relatés par l’appelante n’étaient justifiés par aucun élément objectif laissant présager l’existence de manœuvres de débauchage ou de détournement de clients et de contrats, constitutif d’un comportement illicite de l’intimée et qu’ainsi, en l’absence d’acte de concurrence déloyale, l’appelante ne justifie pas d’un motif légitime au soutien de la mesure d’instruction sollicitée.

Cette décision, tout comme celle rendue par le Juge de première instance, est conforme à la jurisprudence la plus récente de la Cour de Cassation, qui réduit le prisme des moyens auxquels sont susceptibles de recourir les sociétés se prétendant victimes d’actes de concurrence déloyale pour venir faire leur marché de preuves chez leurs concurrents au moyen d’une procédure aussi brutale qu’intrusive.

Elle doit naturellement être approuvée sans réserve.

Marc DUFRANC

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