Dignité en prison (suite)

(Ordonnances du président de la chambre de l’instruction, 22 septembre 2022, ordonnance du président du tribunal administratif de Bordeaux, 10 novembre 2022, ordonnance du conseil d’État du 20 décembre 2022)

L’ordonnance du juge de la liberté et de la détention du 8 septembre 2022 (cf. actualité sur ce point) était confirmée par une remarquable ordonnance du président de la chambre de l’instruction du 22 septembre 2022, qui par la suite permettait à notre client de recouvrer la liberté après plus d’une année de détention attentatoire à sa dignité à la maison d’arrêt de Gradignan.

En suivant, le cabinet est intervenu sur mandat de la section française de l’observatoire international des prisons (OIP) pour demander au juge administratif de fermer la cellule en question, dans le cadre d’un référé-liberté

Par une ordonnance du 10 novembre 2022, le juge administratif bordelais a estimé devoir rejeter la requête au motif notamment que l’appréciation d’une atteinte à la dignité, ne pouvait faire abstraction des moyens à disposition de l’administration, qui ne peut tout à la fois être soumise à l’obligation de respecter une espace minimum par personne détenue supérieur à 4 m² (arrêt Muršić c. Croatie, Grande chambre CEDH, 20 octobre 2016), et être tenue d’accueillir toutes les personnes incarcérées sur décision de l’autorité judiciaire, de sorte que l’atteinte à l’article 3 de la convention prohibant la torture ainsi que les traitements inhumains et dégradants ne revêtait pas une gravité suffisante permettant au juge du référé-liberté d’intervenir.

L’OIP contestait cette ordonnance devant le conseil d’État. Le cabinet intervenait à l’audience aux côtés de maître Patrice Spinosi, avocat aux conseils, et du représentant de l’OIP, M. Nicolas Ferran.

Par son ordonnance du 20 décembre. 2022, (n° 469.304) le conseil d’État infirme l’appréciation du premier juge en jugeant très nettement que les conditions de détention à la prison de Gradignan portent atteinte à la dignité des personnes détenues : « Il résulte de l’ensemble de ces constats, tout d’abord, qu’en dépit des travaux de rénovation de la cellule qui ont mis fin au très mauvais état de celle-ci constatée notamment par l’autorité judiciaire, ceux-ci n’ont pas remédié à des insuffisances structurelles concernant l’alimentation en eau et l’installation électrique au sein de la cellule. Par ailleurs, les détenus continuent d’être placés jusqu’à la fin de la reconstruction dans un bâtiment de l’établissement n’offrant pas, de manière générale, des conditions de détention décentes. Enfin, ni la liberté de circulation hors de la cellule, ni les activités hors cellule adéquates sont assurées, en règle générale, de manière satisfaisante. Ces éléments sont, par suite, de nature à constituer des circonstances aggravantes des conditions de détention qu’il y a lieu de prendre en considération. » (§ 17.)

Mais pour autant, il refuse d’intervenir en raison du caractère stricte de son office de juge du référé-liberté, qui ne peut lutter contre une situation structurelle : « De telles mesures de compensation reposant toutefois sur la prise en compte de nombreux facteurs, ne sont pas au nombre de celles que le juge du référé-liberté peut déterminer de manière générale et à bref délai. » (§ 19.)

Subtilités de la justice administrative, qui peut voir son juge constater une atteinte à un droit inaliénable et la déplorer, tout en s’abstenant d’ordonner quoi que ce soit pour tenter d’y mettre fin, par crainte de commettre un intolérable excès de pouvoir.

Les conditions semblent réunies pour un nouveau recours de l’observation international des prisons devant la cour européenne des droits de l’Homme, laquelle avait déjà sévèrement sanctionné la France notamment pour l’inefficacité de sa procédure de référé-liberté s’agissant de la lutte contre les conditions indignes de détention (affaire J.M.B. et autres c. France, 30 janvier 2020 requête n°9671/15, §§ 212 à 221).

Charles DUFRANC

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